Douze ans de prison pour l'agression sauvage
Les jurés ont tranché : Tewfik a voulu tuer Amaury, croisé au hasard d'une rue nantaise. Une agression au couteau, gratuite. Blessé près du coeur, Amaury a survécu.
Aurait-on pu éviter ce crime· Peut-être.
En détention provisoire pour avoir balafré au couteau un clochard, Tewfik Baba Hamed a été libéré... cinq semaines avant de s'attaquer à Amaury Bréheret. « Erreur judiciaire », crie le papa de l'accusé. Le voilà maintenant devant la cour d'assises de Loire-Atlantique pour cette tentative d'homicide.
Bras croisés, bouche bée, Tewfik, incrédule, fixe le président. Il pensait, avait-il confié à son avocat, prendre deux ans. La cour l'a condamné hier à douze années de réclusion criminelle, reconnaissant son intention de tuer Amaury. Le père de Tewfik, qui a tenté en vain de stopper « la dérive », est effondré. En larmes dans les bras de son fils de 25 ans.
Cette nuit de janvier 2005, Tewfik a bu, avalé quatre cachets d'ecstasy. « Les journées, je traîne en ville », explique l'accusé. Il s'invite chez une ex-amie. Terrifiée à la barre, elle se souvient : « Il n'était pas dans son état normal. Il s'amusait avec ses deux couteaux. » Elle réussit à le faire sortir, en l'accompagnant. « Dans la rue, on a croisé un homme assis, en train de fumer. Tewfik a eu un déclic... » Amaury, brillant étudiant de 24 ans, en grille une avant de rentrer chez ses parents après la fête de remise des diplômes de son école de commerce. « Il m'a sauté dessus. Il voulait de l'argent. J'ai eu peur qu'il me tranche la gorge », raconte la victime. La lame du Laguiole transperce le thorax, près du coeur et de l'artère pulmonaire. « Amaury a eu de la chance... Tewfik aussi. Il n'a pas tué », plaide Me Franck Boezec, pour la partie civile.
Un individu inquiétant
« C'est un acte grave, gratuit, d'une violence inouïe, inacceptable pour notre intelligence, commis par un individu inquiétant. Une gratuité qui rend cet acte criminel incompréhensible », dénonce Christian Dreux, l'avocat général. Des témoins se souviennent d'une violence « inhumaine et mécanique ». Amplifiée par l'ecstasy. Face à un accusé « détaché des faits », désintéressé de la santé de sa victime, au comportement provoquant à l'audience, et aux excuses du bout des lèvres, l'avocat général fustige « l'absence de remords, d'émotions, de culpabilisation ». Il pousse le bouchon très loin : « Ces valeurs-là font la différence entre l'homme et l'animal. » Les experts décrivent Tewfik comme « analphabète, antisocial, dangereux, déséquilibré, impulsif, immature ». Me Christophe Boog, pour la défense, rectifie : « Oui, l'acte est inhumain, mais on juge un humain. Un écorché vif, angoissé, qui ne s'aime pas beaucoup. Il refuse de parler de lui, de son enfance moquée, de son père pris en otage, de son fils qu'il ne voit pas. Imaginez son handicap : ne savoir ni lire ni écrire dans notre société. Et on s'étonne qu'il ne se soit pas inséré. Il a fui dans l'alcool et la drogue. »
A-t-il voulu tuer ?
Au coeur du procès, cette question : Tewfik a-t-il voulu tuer Amaury · Tewfik, nonchalant, est avare de mots. « Je ne me souviens de rien. Je n'étais pas dans ma tête. Mais je ne suis pas un meurtrier. » L'avocat général en est pourtant convaincu : « L'intention n'est pas virtuelle. Elle est certaine. L'accusé a utilisé une arme dangereuse et a atteint une partie vitale du corps. » Contre-argument de Me Boog : « Le fait d'avoir un couteau ne prouve pas la volonté de tuer. C'est une violence aveugle, dans un état second. Un geste réflexe et non réfléchi. » Les jurés, eux, n'ont pas eu de doutes.
Christophe JAUNET.